Guillaume Marie, Les watères du château, Bouclard éditions, 2022, 176 pages.
ENTRETIEN
Sanda Voïca - Guillaume Marie
A) Fragments de l'entretien en Vidéo (en cours de réalisation)
B) L'entretien intégral ici :
« La posture d'être quelqu'un, la difficulté d'être au monde (…) sont plus directement exprimables par la poésie »
Sanda Voïca : J’ai fini la lecture du roman-poème, en fin de compte, de Guillaume Marie, avec l’idée que son héros serait… un éro de notre temps : éro – pour dire à la fois et séparément : érotomane, érotophile, érotisme, éro-isme (barbarisme pour dire : vivre son érotisme et donc sa sexualité sans entraves), érotologue, érogène, Éros, etc.
Mais je suis revenue sur la première impression/ observation, vu les longs titres, explicatifs, voire explicites ou résumants – « Chapitre neuf, où ce n’est pas parce qu’un phénomène est rare qu’il ne se produit pas » –, titres souvent drôles, ironiques : de lire un roman… chevaleresque, même d’aventures.
Tout moment de vie est un… exploit et devient prétexte, voire source d’écriture.
Guillaume Marie : Oui, à un moment, je crois que le roman avait besoin de gagner en liant, et c'est mon éditeur qui m'a proposé cela, de donner des titres aux chapitres, qui sont parfois assez indépendants les uns des autres. Quelle bonne idée il a eue là ! Cela me permettait d'indiquer qu'on change d'épisode, mais qu'on reste bien dans le même récit. Pour la forme, j'ai eu envie de faire un clin d’œil à ces titres de romans que j'adore et qu'on trouve par exemple chez Rabelais, Voltaire mais aussi Gaston Leroux. Allez, un exemple : « Où Joseph Rouletabille adresse à M. Robert Darzac une phrase qui produit son petit effet » : qui n'a pas envie de se précipiter sur ce chapitre après ce genre de titre ?
S.V. Tout est d’une écriture allègre, fraîche, nous emportant – dans cet esprit dit avant : de roman d’aventures : nous emporter et attendre, désirer le chapitre suivant. Et le pari est réussi.
G.M. Oh la la, merci beaucoup !
S.V. Un roman qui ne fait que commencer, avec chaque chapitre donc – qui ne finit jamais. Un roman sans histoire(s), le fil narratif est bien « faible », ce qui tient le livre est… sa source : le grand désir d’écrire de l’auteur. Et cette envie d’écrire prend le dessus, s’empare autant de l’écrivain que du lecteur. Le désir érotique et celui d’écrire arrivent même à se confondre.
J’avoue, en vous lisant, avoir été excitée dès les premières phrases – et pas seulement dans le chapitre explicitement érotique / pornographique.
Même si vous faites quelque part (voir la vidéo : https://youtu.be/f-qSl1AKTVI ) la distinction entre érotique et pornographique, en considérant qu’assister à un acte sexuel c’est du domaine du pornographique, si j’accepte cette… acception, pourquoi ne pas considérer qu’assister à une scène de vie plus banale, disons – boire un café en public – ne soit pas aussi de l’ordre de l’intime ? Car, à y assister, ce serait… du… pornographique, selon votre définition…
Je veux dire – se montrer, dans tout acte, pas seulement sexuel, c’est… érotique et/ ou pornographique.
L’écriture est du même genre, donc.
G.M. Oui et non ! Disons que oui, il y a quelque chose d'exhibitionniste, qui m'a longtemps beaucoup gêné, avec le fait d'écrire un texte qui raconte des choses de l'ordre de l'intime. Raconter sa vie en famille, ouvrir la porte de sa maison, est bigrement s'exposer, plus, quelque part, que d'écrire une scène pornographique !
Ensuite, sur l'érotisme et la pornographie, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous, car quand on compose un texte érotique, ou pornographique, il y a clairement la volonté d'écrire sur la sexualité, cet acte particulier de la sexualité, sans métaphore : oui, aller avec l'écriture jusque là. Cela répond aussi à une vieille envie : les actes sexuels entre hommes, dans les romans que j'ai pu lire, sont souvent glauques, tachés de honte ou de repentir, etc. L'idée était ici de chanter une sexualité joyeuse, solaire. C'est tout le propos de la collection « Histoires pédées » que j'ai lancée avec Antonin Crenn au sein du Collectif Pou.
S.V. Quelques chapitres ou fragments de chapitres ont l’air bien fantasque ou tombant dans le genre fantastique : la rencontre d’une licorne, le chat qui sort du miroir, le poulpe même qui s’empare du héros dans une scène érotique, etc.
Mais ce n’est jamais gratuit, c’est toujours… fertile. Ce sont des choses inscrites ou sorties de l’histoire de la (bonne) littérature – je pense à Borges, Marquez, Melville, Boulgakov (le poulpe comme une autre baleine)…
Des variations bien personnelles sur certains thèmes, aussi. Lesdits auteurs ont-ils fait partie aussi de vos lectures et en avez-vous d’autres auteurs, préférés / fétiches, où l’imaginaire prend le pas sur la réalité ?
Vous parlez – dans ladite vidéo – d’Italo Calvino.
Un chapitre, celui où la voisine a perdu son nez, sur fond du premier confinement, fait explicitement référence au Nez de Gogol.
Vous êtes dans une filiation /continuation littéraire – consciemment (que vous assumez), brillamment même.
G.M. Merci beaucoup ! Oui, je suis assez fan des nouvelles fantastiques, un genre très fertile en littérature, en russe, italien, anglais ou français, auquel s'est frotté tant d'auteurs géniaux ! J'assume tout à fait mes filiations, d'ailleurs je cite explicitement Gianni Rodari et Nicolaï Gogol dans le roman, mais on peut rajouter Calvino évidemment. De façon un peu détournée, je fais aussi des références à Lautréamont, qui compte beaucoup pour moi.
S.V. Lautréamont et son importance pour vous pourraient être invoqués / évoqués à propos de ce chapitre délirant, savoureux, drôle, ironique, satyrique, parodique, avec des fausses recettes d’écriture : « Chapitre huit : où Guillaume révise sa philo avec un pot de lait », car vous vous y jouez, passez en revue / détournez tant de clichés sur l’écriture d’un livre – de n’importe quelle sorte, en fin de compte – en l’occurrence, dans votre livre, sur Diogène. De même que « Le chapitre cinq, où on retrace un peu l’histoire », et où la narration passe du « je » à « il ». Tout est écrit avec l’intention, autant explicite que subliminale, de réinventer l’art du roman, en écrivant le vôtre. Car la question se (re)pose, avec chaque nouveau (bon) romancier : c’est quoi un roman ? C’est quoi écrire (un roman) ? Vous transgressez, dans le vôtre, beaucoup de codes, ou bien vous aimeriez les faire tous exploser. J’ai eu cette sensation d’un transgresseur en série – en voulant allant au bout de chaque code, à partir de presque rien – et quand ce « presque rien » est votre propre vie. Une sorte de dépassement continuel – de toute possibilité d’écriture – et surtout fait, ledit dépassement, avec intelligence et humour.
G.M. Je rebondis sur la transgression : c'est plutôt, au moins dans mon intention, disons, une timidité face à la posture du romancier. J'ai du mal à l'assumer. Face aux « vrais » romanciers, je me sens comme un imposteur. Mais, quelque part, c'est ce qui m'a libéré. Je me suis dit : « Allez, jouons au romancier, allons-y à fond ! Ça ne compte pas parce que je ne suis pas un vrai ! » Et je crois que c'est cette légèreté face au genre qui m'a permis de me libérer.
S.V. Vous dites quelque part (dans la vidéo déjà citée) que c’est un roman de formation (Bildungsroman). Mais à mon sens votre roman n’en est pas un. L’apprentissage suppose un réel déplacement, voire un grand changement (ou murissement) – et vous, même si vous changez de lieux (Coutances, Caen, Nantes, Paris) – ce ne sont que les rayons d’un cercle. Un déplacement, oui, mais qui a déjà son centre : votre érotisme. Tout n’est que son accomplissement. Toutes vos actions – y compris l’écriture – ne sont que des résultats / résultantes de ce noyau érotique. Qu’en pensez-vous ?
G.M. Ah ah, je ne sais pas ! Le roman d'apprentissage, vous avez raison, obéit à un schéma bien précis, de l'ordre, pour résumer, de l'illusion perdue. Or c'est vrai que mon roman ne suit pas ce thème. D'un autre côté, vous avez encore raison, Les Watères représentent l'itinéraire, au moins au début, d'un jeune homme qui découvre sa sexualité : et en ce sens il est, au moins, un roman d'initiation. Cependant, je crois que l'écriture du roman ne procède pas essentiellement de l'érotisme, ou alors d'une jouissance toute littéraire de se retrouver dans un terrain de jeu aussi vaste et libre que celui de l'écriture d'un roman.
S.V. À propos de cette fausse distinction, à vrai dire, pour un écrivain (entre réalité et imaginaire ou invention) : la poésie et le roman ne sont pas très éloignés, à mon sens, et donc non plus dans votre roman. Il y en a même deux chapitres (deux et quatorze) qui formellement prennent la forme de longs poèmes.
Mais les deux « formes » surgissent, en fin de compte, d’un même imaginaire, bien particulier, de surcroît : le vôtre. Et dont j’aimerais définir toute seule les particularités, encore plus que je viens de dire : un style disons… pas gratuit, pas creux, pour mieux dire, qui nous renvoient aux motifs littéraires célèbres, pris et repris – et donc… vivants. Comme si pour vous la traversée de la vie et de la littérature (passée et présente, celle des autres et la vôtre) ne font qu’un.
Le caractère disparate des chapitres, je disais – mais liés par… le style : ce même déraillement, quand l’imaginaire fait partir en vrille (la réalité qui ne suffit pas à la vie ? ) – toujours plein d’humour et de trouvailles (formules et situations).
Cet exploit – un livre à la fois très lâche, voire laxiste, par les genres, les (non)sujets, et très serré, bien mené, quoique on n’arrive nulle part [à part au plaisir renouvelé de (le) lire]. Et l’humour jamais très loin : votre humour, qui reste à être défini /caractérisé aussi.
Alors le style de Guillaume Marie serait dû à cette capacité d’écrire à la fois en déraillant et en ne pas quittant une direction. Direction… mystérieuse mais enchanteresse. Celle d’un conte.
G.M. Ah mais oui, dérailler tout en gardant sa direction, c'est ce mouvement paradoxal dont on rêve tous, non ? Je ne sais pas si j'y arrive ! En tout cas oui, je me nourris des contes depuis longtemps, et j'ai vraiment voulu puiser par là. Je ne sais pas non plus si j'y parviens, probablement pas tout à fait, car les contes contiennent toujours un dénouement extrêmement fort, comme si tout le texte menait à cela. Or la fin des aventures de mon héros représentent plutôt un retour à la réalité.
S.V. Les âges – une obsession ? Avec cette apothéose dans le chapitre final – sur le comptage, y compris les vœux d’anniversaire, à des âges différents, de la mère du héros Guillaume.
Le passage du temps. Livre sur le Temps, en fin de compte.
Le titre – Les watères du château –, je l’interprète à ma façon : je me suis dit que la partie triviale de l’existence ne peut être qu’elle aussi envoûtante – nous faire vivre / vibrer etc. – comme toute partie considérée « belle », voire de rêve de la réalité. Où est la frontière, pour un écrivain ? En vous lisant – il n’y en a pas. Ou bien… vous (en/y) créez votre propre frontière : fausse, floue, vertigineuse – comme toute… vraie ( !) frontière. Car elle est faite pour être… franchie… !
La présence des chapitres en vers – des longs poèmes. Pour y revenir : selon vous, quel est leur rôle ?
G.M. Je sais que vous allez me comprendre, parce que vous êtes une poète vous même : la poésie, c'est pour dire plus sincèrement la vérité ! Je crois que la sensation, le sentiment, l'errance, la posture d'être quelqu'un, la difficulté d'être au monde, toutes ces choses, sont plus directement exprimables par la poésie que par l'artifice d'un texte narratif. Je crois que c'est sa grande force.
S.V. Dans le déjà mentionné « Chapitre huit… » il y a quelques lignes que je prendrais bien pour votre propre art d’avoir écrit ce roman : « Condormio est rédigé dans un style étonnant, mêlant les démonstrations théoriques à l’humour, parfois jusqu’à la farce. Ce qui en fait probablement la première tentative d’un enseignement qu’on qualifierait aujourd’hui de ludique. » Et où je mettrais à la place de démonstrations théoriques passages fantastiques et à la place d’enseignement roman, tout simplement. En êtes-vous d’accord ?
G.M. Est-ce un roman ludique ? Sans doute avez-vous raison, oui, même si cela pourrait être réducteur, car je crois qu'il y a des passages un peu plus graves. Quand je fais des lectures, par exemple du dernier chapitre dans lequel le narrateur n'arrive plus à savoir de combien de marches est composé son escalier, j'ai deux types de réactions : soit les gens rient franchement, soit ils viennent me voir à la fin pour me dire qu'ils ont ressenti de l'angoisse.
S.V. Et vous inventez un personnage pour un livre fictif, autour de Diogène, un philosophe dont le nom change sans cesse : Lysope, Lysopie, Lysopié, Lyopé, Lysiopë, Lisopë… Je passe sur l’aspect désopilant de votre fantaisie, pour vous poser une question pour vos noms : pourquoi un nom d’auteur, Guillaume Marie, et un autre comme journaliste ? Pourquoi cette disjonction / diffraction / séparation ? Et pas question de pseudonyme, non plus…
G.M. Disons que je voulais distinguer mes deux activités d'écriture, qui sont si différentes : celle du journaliste de celle de l'auteur. J'ai constaté avec bonheur que quand j'ai pris cette décision, cela m'a complètement libéré ! Par ailleurs, j'ai très longtemps tu auprès de ma famille, mes amis et mes collègues le fait que j'écrivais de la poésie. J'aimais assez que cela reste quelque chose de secret. C'est vraiment avec ce livre que j'ai commencé à l'assumer.
S.V. Poète et romancier : si je pense que vous n’allez pas quitter facilement la poésie, croyez-vous récidiver, côté roman – après ce défi si magnifiquement relevé ? Un projet déjà dans ce sens ?
G.M. Ce roman est le résumé de mes quarante premières années. Désormais je publierai le second pour mes 80 ans, pour raconter la deuxième moitié de ma vie !
S.V. Parmi les écrivains, voire romanciers français contemporains, vos préférences vont vers lesquels ?
G.M. Parce qu'ils mêlent un travail exigeant sur la langue et un renouvellement des formes de la narration, je citerais trois écrivains assez différents : Anne Serre, Marc Graciano et Jean Echenoz. Mais dans mon panier de romanciers vivants et chéris, j'aimerais mettre aussi Jacques Jouet, Patrick Autréaux, Eric Chevillard, Christine Montalbetti, Antonin Crenn, Pierre Michon, Marie Ndiaye, Laura Vazquez...
S.V. Dernière observation : la grande fraîcheur et authenticité de l’écriture, quand ce n’est pas évident, voire bien rare dans les romans contemporains – la plupart inutiles, surfaits / surécrits selon de recettes essoufflées ( !?) – sans un vrai souffle. Ce qui n’est pas du tout votre cas : la vie de votre héros ne m’a pas laissé indifférente. Livre à relire, comme un livre de (bonne) poésie. Essentiel. Utile. Indispensable. Incontournable.
G.M. Oh la la, je ne sais que répondre, à part un immense merci ! Je suis vraiment ravi que ce petit roman, fabriqué un peu de bric et de broc, puisse susciter cette réaction !
S.V. Dernière question : qu’aimeriez-vous dire sur ce livre et/ou sur vous – et que vous n’avez pas encore dit (publiquement) ?
G.M. Je ne sais pas trop. A part encore : merci Sanda !
S.V. Finalement, après un peu plus de décantation de ma lecture et après notre échange ici - une pensée soudaine, une évidence : Les watères du château est (surtout) un roman d'amour.
La rencontre de Guillaume et d'Alex et leur histoire - d'amour - "occupent" plusieurs chapitres, contrairement à d'autres histoires du livre. Sa présence discrète en apparence, est fondamentale, à vrai dire. Le "fameux" chapitre trois, érotique - n'est que la sublimation physique d'un fort sentiment - l'amour qui fait tourner le monde, en l'occurrence, encore une fois, votre roman.
G.M. C'est tout à fait cela ! Le personnage d'Alex est celui qui trace le véritable itinéraire du roman. Un amour continu, durable, partagé : c'est aussi ce que je voulais écrire. Oui, ce roman est aussi une déclaration d'amour.
C) Compléments :
D) Suppléments (fournis par Guillaume Marie, que j'en remercie) :