mardi 3 janvier 2023

2023.02.05. Sanda Voïca -TRAVERSURES. Episode 1 : CHRISTOPHE ESNAULT, "Vivre, 1-40" (2022)

 Christophe Esnault, Vivre, 1-40,  éditions des Rues et des Bois, 2022, non paginée.

Collection Poésie, 

dirigée par Benoît Chérel

 et Nathalie Legardinier.

 

A. La vidéo :

 sur la chaîne You Tube, TRAVERSURES - Sanda Voïca lit et donne son avis :


https://youtu.be/K0UvP_FjVXY  


 

B. La note critique  (le texte en word) :

2023.02.04. Sanda Voïca sur

Christophe Esnault, Vivre, 1-40, Éditions des Rues et des Bois, 2022, non paginée

 

 1. Variante courte (lue dans la vidéo) :

Quand le trop de mots et le pas assez de mots ne font qu’un

Vivre, 1-40 : titre… psalmiques/biblique), par sa numérotation. Et le livre l’est : un psaume. Profane, car il y est question de gestes et mots quotidiens et d’un présent contemporain. Mais sacre et sacré, aussi : chaque chose vécue/écrite est une sublimation d’une expérience – de vie et de mise en mots à la fois.

Titre qui nous fait penser à l’écrivaine Sarah Kane, dans le sillage de sa pièce de théâtre 4.48.Psychose. Source littéraire avouée – criée à une époque sur tous les toits – et fondatrice, voire foncière de Christophe Esnault.

Le « vivre » du titre : entendu/lu comme verbe : l’infinitif d’une assertion/affirmation ou même d’une injonction. Entendu aussi comme nom (substantif) : quand de façon subliminale on entend le vivre et le couvert, la nourriture terrestre et céleste (lire : poétique). L’occurrence du mot « vivres », au pluriel, dans le fragment 31 : « Emplir de vivres des sacs plastiques marcher vers la voiture posée sur quatre parpaings. » nous confirme. Christophe Esnault lui-même incarné, tout simplement. Quand les spectres sont la majorité au monde.

Ce sont des fragments compacts sur les pages, des lignes justifiées. Lignes-versets, nous disions. Hétéroclites : des registres, des tons différents mais dans un bloc harmonieux. Leur bizarrerie initiale, leur presque-violence (presque, car la douceur les double, les capitonne) nous deviennent familières et on ne peut plus s’en passer. Une drogue possible, l’écriture d’Esnault.

Les choses disparates (hétérogènes) sont liées d’une manière juste ; dont l’auteur est conscient, sans se vanter : « Tu relies tout à tout ce qu’il te manque à l’instant mais tu es déjà sur l’autre page et c’est parfait aussi. » (fragm .19).

Voilà : passer toujours à autre chose. Aller plus loin : vivre son combat.

Mais relier et déchirer vont de pair : « Se déchirer lentement au réel. » (fragm. 19)

Le sérieux et le rire sont inextricables.

Verve et scepticisme – ou bien… la verve de son scepticisme. Prendre le mot « sceptique » dans un sens de Nietzsche – celui de la valeur qui compte le plus pour un grand esprit, le scepticisme, du moins comme nous le lisons dans L’Antéchrist :

Alors la citation de « l’Arbre », d’Antonin Artaud, dans « L’Ombilic des limbes », mise en exergue du livre, n’est pas du tout innocente : « Un cœur qui crève, un astre dur/ qui se dédouble et fuse au ciel, / le ciel limpide se fend à l’appel du soleil sonnant, font le même bruit, font le même bruit, / que la nuit et l’arbre au centre du vent. ».

J’ose penser/croire que Christophe Esnault écrit à l’appel d’un tel soleil sonnant.

Il y a dans ses fragments à la fois trop de mots et pas assez de mots !

Mais leur étude reste infinie.

La première phrase du fragment 1 donne la clé du livre : « Scénario d’évasion mille fois étudié. »

Car l’écriture ne devrait être qu’évasion – dans un bon sens du mot : ni évitement, ni éloignement, ni fuite, ni songe gratuit, ni dessin d’une porte sur le mur. Ni même attente devant une porte kafkaïenne – toujours ouverte et qu’on pense fermée. L’évasion alors comme jaillissement : devenir la source de sa propre vie.

Ce que le poète Christophe Esnault vit et vise sans cesse. « La frontière indivisible entre la règle et l’art de l’exception » (fragment 1) ne lui est pas inconnue. C’est sa ligne de vie.

Fausse légèreté, toujours, mais fausse gravité aussi : la gravité qui tue est tuée avant de naître. Ironique, bien sûr. Les mots doivent être chargés, lourds… de tous les sens (dits et non-dits).

Christophe Esnault n’est pas de ces écrivains misanthropes dont il dit, dans le fragment 8 : qui « recherche toute sa vie la phrase tueuse. »

Et cette devise de vie-écriture : « Agir contre. Être le combat ». (fragm. 7)

Être le combat : en voilà une raison d’être.

Hameçonner le réel serait-ce alors écrire même ?

Ses phrases-observations ( sentences-proverbes-aphorismes-apophtegmes-axiomes) ont souvent allure, en raccourci, de celles de Saint-Simon, La Rochefoucauld, La Bruyère…

Une brièveté bavarde, une soif d’énumérer les faits-idées – qui appelle, paradoxalement, la concentration. Les lignes deviennent presque des sceaux, des étiquettes sur nos gestes et pensées (ou non-pensées) dès plus quotidiens aux plus rares.

Il a réussi à « Placer sa substance dans un texte jusqu’à voir naître un nouveau corps. ». (fragm. 18)

« Éclos l’indicible émeut. ». (fragm. 37). Performatif : me voilà émue par ses textes. Consciente que j’ai essayé en vain de vous dire l’effervescence de Christophe Esnault. Effervescence qui a rendu l’impossible possible : « Sortir la trottinette céleste de sa poche révolver ». (fragm. 39).

 

2. Variante longue : 

Quand le trop de mots et le pas assez de mots ne font qu’un

Vivre, 1-40 : titre… psalmiques/biblique), par sa numérotation. Et le livre l’est : un psaume. Profane, car il y est question de gestes et mots quotidiens et d’un présent contemporain. Mais sacre et sacré, aussi : chaque chose vécue/écrite est une sublimation d’une expérience – de vie et de mise en mots à la fois.

Et cette pensée, parce que c’est aussi notre fort sentiment, en ayant lu cet Esnault, aux mots de Maurice Blanchot, dans Le livre à venir : « Dans le monde biblique, celui que touche l’esprit parle aussitôt une parole déjà véritable, commençante mais accomplie, rythmiquement rigoureuse, même si elle est emportée par la violence de l’instant. »

Titre qui nous fait penser à l’écrivaine Sarah Kane, dans le sillage de sa pièce de théâtre 4.48.Psychose. Source littéraire avouée et fondatrice, voire foncière de Christophe Esnault. De même que le nom de son groupe, Le Manque, qu’il forme avec Lionel Fondeville, pourrait être ressenti aussi dans le même sillage, celui du Manque, cette fois-ci, autre pièce de théâtre de la même écrivaine. (Pour Le Manque : à voir leur site : https://www.youtube.com/@LEMANQUE/videos

Le « vivre » du titre : entendu/lu comme verbe : l’infinitif d’une assertion/affirmation ou même d’une injonction. Entendu aussi comme nom (substantif) : quand de façon subliminale on entend le vivre et le couvert, la nourriture terrestre et céleste (lire : poétique). L’occurrence du mot « vivres », au pluriel, dans le fragment 31 : « Emplir de vivres des sacs plastiques marcher vers la voiture posée sur quatre parpaings. » nous confirme. Christophe Esnault lui-même incarné, tout simplement. Quand les spectres sont la majorité au monde.

Ce sont des fragments compacts sur les pages, des lignes justifiées. Lignes-versets, nous disions. Hétéroclites : des registres, des tons différents mais dans un bloc harmonieux. Leur bizarrerie initiale, leur presque-violence (presque, car la douceur les double, les capitonne) nous deviennent familières et on ne peut plus s’en passer. Une drogue possible, l’écriture d’Esnault.

Les choses disparates (hétérogènes) sont liées d’une manière juste ; dont l’auteur est conscient, sans se vanter : « Tu relies tout à tout ce qu’il te manque à l’instant mais tu es déjà sur l’autre page et c’est parfait aussi. » (fragm .19).

Voilà : passer toujours à autre chose. Aller plus loin : vivre son combat.

Mais relier et déchirer vont de pair : « Se déchirer lentement au réel. » (fragm. 19)

Écoutez/lisez ce 4-ème fragment :

« Tous les Terriens ne tiennent pas un livre à la main. Porter le deuil des générations à venir. Se démarquer de la horde. Derrière la grille les actes des amants se livrent. Compost affectif. Suicidez-vous maintenant vous gagnerez du temps. Se mentir comme le font déjà sept milliards d’individus. [actualisation nécessaire : 8 milliards – depuis l’écriture, plutôt récente, de cette ligne] Se tricoter un manteau pour l’hiver avec le déclinisme ambiant. Connaître intimement le grumeau de la bouillie pas d’autre ami toutes ces années. Chaparder ce qui ne peut l’être. Attendre son tour à la caisse le corps recouvert d’écailles argentées. Succulentes pâtes de fruits à peine périmées. Laisser choir pour rehausser le niveau. Inestimable cadeau d’un interlocuteur sur Terre. »

Le sérieux et le rire sont inextricables.

Verve et scepticisme – ou bien… la verve de son scepticisme. Prendre le mot « sceptique » dans un sens de Nietzsche – celui de la valeur qui compte le plus pour un grand esprit, le scepticisme, du moins comme nous le lisons dans L’Antéchrist :

« Qu’on ne se laisse pas égarer : les grands esprits sont des sceptiques. Zarathoustra est un sceptique. La force, la liberté qui naît de la puissance et de la surpuissance de l’esprit, sa preuve est dans le scepticisme. Pour ce qui touche au principal de la valeur et de la non-valeur, les gens de conviction n’entrent même pas en considération. Les convictions sont des cahots. Ça ne voit pas assez loin, ça ne voit pas au-dessous de soi : et pour avoir droit de parole sur le problème de la valeur et de la non-valeur, il faut voir cinq cents convictions sous soi – derrière soi… Un esprit qui veut grand, qui en veut aussi les moyens, est nécessairement un sceptique. La liberté relativement à toute espèce de conviction fait partie de la force, l’aptitude au regard libre. » (souligné dans le texte).

Et cette autre variante de traduction :

« Il ne faut pas s'en laisser conter : les grands esprits sont des sceptiques. Zarathoustra est un sceptique. La vigueur, la liberté qui vient de la force et du trop-plein de forces de l'esprit, se prouve par le scepticisme. Les hommes d'une conviction ne comptent pas, dès lors qu'est en jeu tout ce qui touche aux principes de valeur et de non-valeur. Les convictions sont des prisons. Cela ne voit pas assez loin, cela ne voit pas de haut ; mais pour avoir son mot à dire sur la valeur et la non-valeur, il faut voir cinq cents au-dessous de soi, derrière soi... Un esprit qui veut quelque chose de grand, et qui en veut aussi les moyens, est nécessairement un sceptique. Pour être fort, il faut être libre de toute conviction, savoir regarder librement… »

Alors la citation de « l’Arbre », d’Antonin Artaud, dans « L’Ombilic des limbes », mise en exergue du livre, n’est pas du tout innocente : « Un cœur qui crève, un astre dur/ qui se dédouble et fuse au ciel, / le ciel limpide se fend à l’appel du soleil sonnant, font le même bruit, font le même bruit, / que la nuit et l’arbre au centre du vent. »

J’ose penser/croire que Christophe Esnault écrit à l’appel d’un tel soleil sonnant.

Il y a dans ses fragments à la fois trop de mots et pas assez de mots !

Mais leur étude reste infinie.

La première phrase du fragment 1 donne la clé du livre : « Scénario d’évasion mille fois étudié. »

Car l’écriture ne devrait être qu’évasion – dans un bon sens du mot : ni évitement, ni éloignement, ni fuite, ni songe gratuit, ni dessin d’une porte sur le mur. Ni même attente devant une porte kafkaïenne – toujours ouverte et qu’on pense fermée. L’évasion alors comme jaillissement : devenir la source de sa propre vie.

Ce que le poète Christophe Esnault vit et vise sans cesse. « La frontière indivisible entre la règle et l’art de l’exception » (fragment 1) ne lui est pas inconnue. C’est sa ligne de vie.

Mais peut-être que cette « frontière », ars poetica à la fois, est-elle, en conséquence… même abolie : celui qui écrit et celui qui lit ne peuvent (plus) parler que la même langue. L’auteur est un autre (ses lecteurs) et l’autre est auteur – juste en lisant. Contamination-augmentation-annihilation sans cesse.

La substance de ses textes est faite de « détails en acte » (fragment 1) – même si l’attitude de l’écrivain est souvent sardonique, moqueuse : « Les détails en acte s’avèrent un rendez-vous manqué avec l’orangeraie. ». (toujours le fragment 1) ; [donné en entier (scanné), sur le Blog : Sanda Voïca-TRAVERSURES, section C/ Compléments de l’article].

Je parlais de « blocs harmonieux » que seraient ces textes : oui, leur auteur parle/écrit de manière performative, donc, ce qu’il dit s’accomplit : « N’en fais pas trop avec des mots trop chargés. ». (fragm. 6) Fausse légèreté, toujours, mais fausse gravité aussi : la gravité qui tue est tuée avant de naître. Ironique, bien sûr. Les mots doivent être chargés, lourds… de tous les sens (dits et non-dits).

Christophe Esnault n’est pas de ces écrivains misanthropes dont il dit, dans le fragment 8 : qui « recherche toute sa vie la phrase tueuse. »

On est surpris, subjugués par la finesse et le bon goût de ses formules – car elles coïncident avec son corps, ses gestes – voire… son instinct.

Des injonctions sont faites chair, mais en prenant une hauteur qui permet de sauver la/sa peau : « Il pleut des injonctions au rythme des grenades assourdissantes. Des drapeaux tricolores se substituent au langage. Sortir de la boue. Effleurer la peau aimée. » (fragm. 7)

Sauver sa peau pour pouvoir atteindre celle de l’autre, donc ?

Distance dont l’auteur est bien conscient : « En marche arrière mesurer la distance qui sépare le terne du scintillement ravi. » (fragm. 11)

La dérision, toujours, quand rien n’est donné pour toujours. Et cette devise de vie-écriture : « Agir contre. Être le combat ». (fragm. 7)

Être le combat : en voilà une raison d’être.

Et rester toujours lucide à sa tâche, en maniant la plume comme ardillon : « l’au-delà appelle à leurre et l’ardillon pique à même la lèvre du langage ». (fragm. 33)

Hameçonner le réel serait-ce alors écrire même ?

On frôle à chaque pas l’absurde, les zeugmes, le banal, l’inattendu, l’éblouissement, le terne, l’énigme / l’énigmatique), le rire (celui de l’auteur même qui provoque le nôtre).

Ses phrases-observations ( sentences-proverbes-aphorismes-apophtegmes-axiomes) ont souvent allure, en raccourci, de celles de Saint-Simon, La Rochefoucauld, La Bruyère… Les faits divers, les faits scientifiques ou les réalités quotidiennes, dans leur brièveté, prennent valeur universelle : « Chaque corps se donne à l’économie de marché » (fragm. 9). « Confondre l’océan et les flaques de pétrole. » (fragm. 28)

Une brièveté bavarde, une soif d’énumérer les faits-idées – qui appelle, paradoxalement, la concentration. Les lignes deviennent presque des sceaux, des étiquettes sur nos gestes et pensées (ou non-pensées) dès plus quotidiens aux plus rares.

J’ai eu cette pensée folle : si on déposait quelques-unes de ces phrases-sceaux (ce livre même !) sur la Lune ou une autre planète, elles (il) résumeraient parfaitement notre humanité. Notre planète. Notre… Terre.

Son point de vue inédit, ladite distance rendent l’écriture de Christophe Esnault à la fois implacable et improbable. Impossible. Sa « trouvaille » sauve l’écrivain – et même… l’humanité : « Toute vie n’a pas encore été confisquée » (fragm. 11).

Car il est le contraire de l’écrivain misanthrope – dont il était question plus haut.

Le retournement et la vivification permanente des clichés, c’est sa manière d’être. Donc de vivre le combat. En côtoyant le macabre et la grâce, il arrive à ses formules, dont le livre pullule.

Il a réussi à « Placer sa substance dans un texte jusqu’à voir naître un nouveau corps. ». (fragm. 18) Ironie, mais pas trop.

L’impression, souvent d’une sorte de… roman-« instant » : comme le café-instant. On lit un fragment et un roman entier y est contenu ! Il suffirait de le tremper dans un cerveau encore plus… bavard. Alors, comme le café-instant, ce sont des phrases-instants. Leur concentration rend possible… leur dissolution : pour déployer un univers encore plus foisonnant.

Mais ce sont des livres possibles et qui finalement ne sont, surtout pas, à écrire : elles, les nouvelles phrases, ou ils, les romans possibles, aboliront l’Esnault.

Et aucune phrase (dite/écrite par quiconque) n’abolira celles de Vivre, 1-40.

Car le poète, lui seul, sait très bien « Dans le laboratoire intime manier produits inflammables et révélateurs. » (fragm 10).

Une prolixité… non-prolixe, car juste !

Ce qui me fait penser, en fin de compte, que chacun de ces textes pourrait être un mandala : « Tout ce que nous faisons à la trame de la vie, nous le faisons à nous-mêmes. Toutes choses sont reliées entre elles. Toutes choses se tiennent. » je lis dans un livre de vulgarisation des mandalas. Et aussi : « les entrelacs des mandalas symbolisent l’unité, ce qui fait tenir les choses ensemble ». Leur aspect entremêlé peut également symboliser l’infini. »

L’infini à notre portée, chiens-lecteurs, dans ce livre.

Et à qui dessiner/déceler les entrelacs des fragments écrits de Ch. Esnault ?

Et aussi, quand je dis mandala, dans mon esprit vient aussi… la monade. Non sans raison(s) : l’un et l’autre n’étant pas sans rapport(s) !

Alors, mandalisez-vous et monadisez-vous en lisant Christophe Esnault. Quand la vie peut s’avérer, par moments, une tâche impossible, voire mortelle : « Apprendre à se mouvoir dans le ciment. » (fragm 20)

Car « Vivre ne devrait pas être une route barrée par les tièdes. » (fragm. 30)

L’écrivain réussit l’exploit de faire éclore l’indicible et, une fois éclos, il ne peut qu’émouvoir : « Éclos l’indicible émeut. ». (fragment 37). Performatif : me voilà émue par ses textes. Consciente que j’ai essayé en vain de vous dire l’effervescence de Christophe Esnault. Effervescence qui a rendu l’impossible possible : « Sortir la trottinette céleste de sa poche révolver ». (fragm. 39). Parce qu’il sait écouter – son corps dans le monde. Vivre. Malgré le danger permanent : « Toute tentative de vivre sera réprimée par l’impact de balles de défense. » (fragm. 40) Et quand vivre n’est possible, à vrai dire, qu’en dissident : « Au poignet des dissidents les montres sont réglées sur le seppuku. » (fragm. 40)

On écrit toujours depuis la mort. Beaucoup l’ont dit.

Et pourquoi je pense, à la fin, qu’après la mandale et la monade, le mantra ne serait pas étranger à l’écriture de Christophe Esnault : chaque fragment de son livre ne serait qu’une sorte de formule pour invoquer la bonne littérature.

Nous avons parlé de l’importance de la première phrase du livre. Mais la dernière nous paraît tout aussi significat ive – une autre clé pour une porte sans contours (infinie) : « Arrivées sur l’estuaire les tournesols goûtent un autre sel. » (fragm. 40). L’évasion est accomplie : nous sommes… échoués sur un estuaire, mais pas n’importe lequel « un autre sel » s’y trouve ! Imaginer un sel nouveau ! Et pour qui ? Pour… les tournesols ! Les auteurs-lecteurs ? Les tournesols qui ne seraient pas « tués » par le sel, car leur nourriture ? L’absurde et l’impossible de nouveau rejoints, concentré du monde ! L’écriture nouvelle du monde dans une seule ligne ! Le rêve de tout écrivain, dépassant même Mallarmé, pour qui « le monde est fait pour aboutir à un beau livre ».

L’impression générale de cette lecture est celle d’une chose hors norme – dans l’esprit du déjà évoqué Antonin Artaud, dont Alain Jouffroy avait écrit : Artaud ne peut être considéré ni comme un écrivain, ni comme un poète, ni comme un acteur, ni comme un metteur en scène, ni comme un théoricien, mais comme un homme qui a tenté d'échapper à toutes ces définitions, et auquel la société dans laquelle nous vivons a opposé la plus grande résistance, la plus grande surdité, la plus grande répression possible". Propos d’Alain Jouffroy, repris dans “Pour ne jamais en finir avec Antonin Artaud” (La momie invoquée-10 mai 2007) (moi qui souligne)

 

 

C. Compléments :

Livre offert par l'auteur le 3 juillet 2022, à l'occasion du Festival organisé par Dixit Poetic, "Et Dire et Ouïssance", - où nous étions aussi invités, pour la 9-ème édition.

Dédicacé le matin, tôt, au gîte du Moulin de La Fosse Noire,  Beignon, Brocéliande, Bretagne, 

où nous étions logés (Christophe Esnault, Lionel Fondeville - voir Le Manque - et moi).

 



illustration de Benoît Chérel , Vieille marche autour du globe, 1997, collection privée


                 et la dédicace de l'auteur :                                         livre offert le 2 juillet 2022

  

D. Suppléments :

 Séduite par le concert-lecture-spectacle de Christophe Esnault et Lionel Fondeville/ Le Manque

du 2 juillet 2022, dans le cadre du Festival "Et Dire et Ouïssance", 

ce "moment", où j'ai "découvert", enfin, Christophe Esnault ! (mieux vaut tard que jamais)

 

 

 https://youtu.be/yvF3iytOrPA

 

 

 

P.2023.03.25. Episode 3 - GUILLAUME MARIE

Guillaume Marie, Les watères du château , Bouclard éditions, 2022, 176 pages.   ENTRETIEN  Sanda Voïca - Guillaume Marie   A)  Fragments de ...